L'Histoire inavouable
Quand Grey débarque à Tokyo sans attaches, argent ni bagages, elle a beaucoup à prouver et encore plus à cacher. Sa rencontre avec Jason, pour lequel elle éprouve une fascination immédiate, est déterminante: il lui trouve un toit, une maison délabrée vouée à la démolition, et un emploi dans un club à hôtesses très privé. Ses clients ? Des yakuzas et un étrange infirme accompagné d'une nurse à la silhouette montrueuse...
Moeurs inavouables, violence, écrasant secret... Ce nouvel univers est poutant familier à Grey. Le but de son voyage ? Retrouver un mystérieux film à l'existence contestée datant de linvasion de la Chine par les Japonais. Un seul homme pourrait l'aider. Un survivant du massacre qui refuse de répondre à ses questions...
Je m'étais préparée à lire un livre difficile, glauque, limite pervers et complaisamment violent, du fait des critiques que j'avais lues. Quelle surprise... Je suis encore sous le choc, car c'est un livre, certes violent, mais tellement humain. De toutes façons, raconter la guerre ne se fait pas qu'avec des fleurs. Et cet épisode tristement connu des exactions japonaises en Chine juste avant la deuxième guerre mondiale, comme un signe précurseur, est très lourd, difficile à imaginer. Mais l'auteur, qui m'avait déçue avec Pig Island dernièrement, a évité tous les écueils du genre selon moi. C'est une plongée dans l'histoire dont on ne sort pas indemne.
Nous suivons donc le parcours de Grey, obsédée par le sac de Nankin par les Japonais en 1937. Elle vient au Japon retrouver un éminent professeur chinois qui pourrait posséder la seule preuve de ce qu'elle s'obstine à croire vrai, une preuve des atrocités et plus précisément une torture atroce qui aurait eu lieu à cette époque. On sent que cette obsession est liée à un épisode de sa vie, mais le secret pèse sur tout ceci. Le fin mot de l'histoire viendra très progressivement, au gré du récit de Grey - parachutée dans le Tokyo de la nuit underground aux personnages hauts en couleurs - et du journal de Shi Chongming, racontant les derniers jours de sa famille à Nankin en 1937. Le destin de ces deux personnages est étroitement lié, Grey devant aider le vieux Chinois dans sa quête qui prend son horrible sens petit à petit. L'atmophère est pesante, on pressent le drame...
Et ce n'est pas gai, plutôt atroce, mais en même temps, la guerre réveille toujours les pires instincts de l'homme. La réalité pourrait être plus horrible, c'est ça qui est triste.
Les premières lignes:
Nankin, Chine, 21 décembre 1937.
A ceux qui se battent et fulminent contre la superstition, je répondrai seulement ceci: pourquoi ? Pourquoi céder à l'orgueil et à la vanité au point de balayer d'un revers de main des siècles de tradition ? Quand le paysan vous explique que les grandes montagnes de la Chine ancienne ont été détruites par les dieux en colère, qu'il y a des centaines d'années, les cieux se sont déchirés et que le pays s'est figé, pourquoi ne pas le croire ? Etes-vous tellement plus intelligent que lui ? Etes-vous plus intelligent que toutes les générations précédentes prises ensemble ?
Moi, je le crois. Maintenant, enfin, je crois. Je tremble de l'écrire, mais, oui, je crois tout ce que nous dit la superstition. Et pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien d'autre pour éclairer les errements de notre monde, aucun autre outil pour traduire un tel désastre.
Ma note: 9 / 10