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Blog à bouquins
12 avril 2010

K2204

41KfamlE9XL__SL160_AA115_Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas

   "La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail. J'ai loué une chambre meublée.
   Je ne suis revenue chez moi que deux fois, en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papires, et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. Je suis devenue blonde. Je n'ai plus quitté mes lunettes. Je n'ai touché aucune allocation. Il était convenu que je m'arrêterais le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire celui où je décrocherais un CDI. Ce livre raconte ma quête, qui a duré presque six mois, de février à juillet 2009.
   J'ai gardé ma chambre meublée. J'y suis retournée cet hiver écrire ce livre."
Florence Aubenas.

Que dire de ce livre ? Que dire sinon qu'il est un récit criant de vérité, mais tellement en dehors de tous les modèles qu'on croirait ce récit d'un autre temps, d'un autre monde ?
Florence Aubenas nous fait un récit extrêmement touchant du monde du travail vue par toutes ces petites mains pauvres, précaires, ces gens qu'on ne voit pas mais qui sont comme une majorité silencieuse. Ce ne sont pas des héros ni des personnages de films, mais de simples personnes que le monde cantonne à un sous- prolétariat corvéable à merci.
L'auteur s'est fondu complètement dans le "décor", à la recherche d'un emploi, au Pôle Emploi et travaillant quelques heures par ci, par là, payées au minimum.
C'est un témoignage important, forcément un peu de parti pris, mais qui décrit une réalité que beaucoup ne veulent voir. Comment vivre le fait d'être chômeur aujourd'hui, comment vivre la recherche d'emploi dans un marché saturé et pauvre en demande ? Comment concilier son temps et ces heures disparates de travail quand on passe plus de temps et d'argent en trajet ? Comment exister sans travail? Le travail est_il une valeur essentielle pour vivre ? 
Avec l'auteur, qui s'efface devant les personnes qu'elle rencontre, nous découvrons ces tranches de vie où tout est calcul et bricolage, débrouille et solidarité. Ces gens sont parfois sur le fil, à la limite du désespoir.
Florence Aubenas s'est donc coulée dans son personnage de femme seule, sans qualification précise, à la recherche d'un emploi. Elle rencontre tour à tour tous les acteurs du service de l'emploi : conseillers Pôle Emploi, conseillers d'insertion, employeurs... Chacun est décrit avec une objectivité certaine, sans en rajouter. C'est évident que se pose la question de la distance journalistique, mais j'ai trouvé qu'elle avait bien su gérer la chose. Il y a un juste équilibre entre l'émotion et la chronique.
Un métier proposé : femme de ménage, agent d'entretien, agent de nettoyage. En entreprise, sur un ferry, dans un camping... Autant de lieux, autant d'employeurs, autant de consignes, autant de temps passé non payé car les contrats sont négociés au plus serré... Elle participe à tout ce qui est proposé en parallèle: forum sur l'emploi, salons, train de l'emploi, ateliers Pôle Emploi, réunion... avec en général peu de suite positive. Mais elle réussit à décrocher quelques remplacements, qui de précaires, peuvent devenir sérieux, mais tout est si fragile...
Mon opinion est que ce témoignage est particulièrement réussi, sans larmoiements ni complaisance. Une prise de conscience de ce qu'est le marché du travail dans des bassin d'emploi sinistrés, pour ces travailleurs pauvres et peu qualifiés. Il faudrait que certains puissent lire ce genre de témoignage pour se rendre compte de la situation des précaires et demandeurs d'emploi.

Extrait (p.218) :
   Dans le ménage, les employeurs n'aiment pas embaucher au-delà de 20 heures hebdomadaires. Je l'ai souvent entendu dire. "Les femmes sont plus rentables à 20 heures qu'à 40 dans le ménage. Il ne faut pas leur en donner plus. De toute manière, elles n'y arrivent pas physiquement. " Avec le salaire, c'est un peu pareil. Pour les métiers de la propreté, une convention collective fixe le taux horaire légèrement au-dessus du SMIC, une dizaine de centimes en plus. Rares sont ceux qui l'appliquent, lorsqu'ils passent une annonce officielle par Pole Emploi, organisme d'Etat. J'ai souvent demandé aux conseillers pourquoi ils ne faisaient pas respecter la loi. A un stage - mais lequel, je ne sais plus -, une conseillère m'a dit ne rien y pouvoir. L'autre jour encore, un patron l'a appelé : "Je mets l'heure au Smic, je me fous de vos accords de branche. Et faites comme je vous dis, sinon je mets mon annonce ailleurs."

Ma note : 9 / 10

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Commentaires
F
C'est vrai que ce livre témoignage a l'air intéressant. Je le note.
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